Marathon de Tokyo : dieu que c’est long un marathon…
Ce marathon je l’appréhendais énormément : dernier de ma tournée mondiale (on a l’impression que je suis Madonna quand j’écris ça !!!), il serait forcément difficile. Entre le décalage horaire, les voyages accumulés, la semaine totalement folle qui allait le précéder, pas de doute tout se paye un jour…
Ma cheville m’inquiète également énormément puisqu’elle ne se contente pas de me faire souffrir en course mais au repos maintenant. Le voyage s’annonce pourtant de plus agréable puisque nous avons la surprise d’être surclassé. Je ne sais pas si cela est du à l’intervention de Planet Tours mais y a pas à dire, la business c’est quand même quelque chose. Le voyage retour en éco va me paraître bien long et bien difficile je pense. Tout le confort du fauteuil d’Air France ne va pas suffire pourtant à me permettre de rattraper les heures de sommeil en retard dont la liste s’allonge inexorablement depuis le début de la semaine. Entre les heures passées dans les aéroports, les avions et les trains, c’est bien simple, je dors avec mon anti-cernes… Enfin là il ne fait plus rien le pauvre, ce n’est pas Lourde non plus et en dehors du port des lunettes de soleil toute la journée aucune alternative ne s’offre à moi : j’ai une sale tronche et puis c’est tout !
Dans l’avion, en dehors du fait que les turbulences me font exploser le cardio, je dois gérer un stress supplémentaire. La compagnie nous a distribué le questionnaire de santé nécessaire pour tout personne ayant résidée dans le mois précédent dans un pays d’Amérique du Sud ou Africain, pour dire les choses clairement, un pays sous-développé aux yeux de nos amis japonais. C’est la première fois qu’on me le fait ce coup là et je n’avais jamais envisagé la chose. En bonne stressée du bocal que je suis, je me vois déjà bloquer à la frontière, en quarantaine, pleurant pour qu’on me laisse entrer sur le territoire japonais pour le courir ce foutu marathon. On me demande en gros si j’ai de la fièvre, si je vomis, si j’ai des tremblements, des pustules pleins le corps… N’étant pas convaincu du sens de l’humour des japonais qui doit ressembler peu ou prou à celui de nos amis américains, dans le doute je coche non partout. Sortie de l’avion et le petit bureau est là sur la gauche. Une jeune femme sûrement charmante si son visage n’était pas camouflée derrière un masque anti miasme récupère mon questionnaire et m’apprend la bonne nouvelle : l’Argentine n’est pas sur la liste des pays à risques ! Je l’aurais bien embrassé sur les 2 joues mais là encore j’ai peur que les habitudes locales soient assez éloignées de mon enthousiasme auvergnat.
Nous n’allons pas à l’hôtel directement puisque les chambres ne sont pas prêtes avant midi mais au marathon expo pour retirer nos dossards. C’est là également que nous finirons notre course 2 jours plus tard. Il y a déjà la queue et l’idée d’attendre debout m’emballe moyen. Je finis par apercevoir un café en hauteur où je me précipite pour avoir une dose de théine supplémentaire. La business c’est super mais au petit déjeuner j’ai eu l’impression de jouer à la dînette avec ma petite tasse, moi il me faut une bassine de thé pour commencer à ouvrir les yeux. Dossard 50442 entre les mains, ça y est ça commence à devenir sérieux. Petite déception pour le tee shirt puisque j’ai indiqué M pensant, à juste titre d’ailleurs, que les tailles japonaises ne me permettraient pas d’enfiler une seule manche d’un tee shirt S. Pas de chance ce sont des tailles américaines et Ken est ravi d’apprendre en lisant ce texte qu’il a encore hérité d’un nouveau tee shirt flambant neuf pour le jardinage cet été… Je vais faire un tour dans les boutiques du marathon pour m’acheter une casquette qui va remplacer celle oubliée dans le placard de Buenos Aires, une paire de gants au cas où et puis parce qu’ils sont assortis à la dite casquette et surtout une robe de course ! J’adore le Japon, c’est fou, les tenues pour les femmes sont stupéfiantes. Entre les couleurs flashy et autres jupettes à 2 volants, les créatifs se lâchent. Seule différence notoire : le short court n’existe pas vraiment, c’est le mi-long au minimum et la jupette n’est que purement décorative puisque sans short intégré. Bon on peut courir sans rien en dessous mais là je pense qu’on se retrouve en meneuse d’allure en quelques secondes !
Mais le plus important dans ma balade c’est que je vais trouver ce qui va me sauver ma course de dimanche : un kit de strapping tout fait. Un coureur japonais a fini 7° de l’UTMB avec, si ce n’est pas fort comme argument de vente ça ! Je ne sais pas si c’est le fait que je sois blonde et que le monsieur se soit dit qu’il me faudrait m’y reprendre à plusieurs fois pour y arriver mais il me donne plusieurs bandes supplémentaires. Je suis un peu rassurée maintenant et à défaut de vraiment marcher l’effet placebo va forcément marcher un peu non ? Direction l’hôtel et surtout la douche bien méritée. Va suivre bien sur une journée et demi de crapahutage dans tout Tokyo histoire de bien s’achever et d’être bien sur d’arriver crevée sur la ligne de départ. Je dors comme un marin à savoir par tranche de 2h entrecoupé non pas de relevée des filets de homards mais de lecture oh combien passionnante et enrichissante intellectuellement parlant du dernier spécial maigrir de ELLE. Oui je sais mais j’ai 2kg à perdre après un séjour plus que calorique sur un bateau américain !
Je vous passe l’achat indispensable des chaussettes montantes comme des bas typiquement japonaises qui seront du meilleur effet à la sortie de l’école de mes enfants ou à la caisse de chez Champion pour aller directement au jour J… J’entends déjà d’ici mon fils aîné me dire : « non mais tu ne vas pas sortir comme ça dis ? T’oublie le quartier du bahut, c’est trop la honte ! ». Lever à 6 h sans aucun problème puisque de toute façon je dors toujours mal. Pas de petit déjeuner collectif pour moi mais gatosport dans ma chambre. J’ai besoin de calme pour me préparer même si je suis toujours aussi stressée les matins de marathon. Je dois refaire les choses 3 fois, j’ai l’impression qu’il me manque toujours quelque chose. Je tire 20 fois sur cette foutue puce pour vérifier qu’elle tient bien, j’enfile mon tee shirt sans avoir mis au préalable mon dossard, je cherche mes épingles. Bref je suis toujours aussi peu au point et sincèrement ça me fait peur par moment. Quand serai-je une vraie coureuse organisée, de celles qui préparent leur sac la veille et qui ont juste à sauter dans leurs chaussures judicieusement placées au pied du lit ?
Allez passons aux choses sérieuses : la cheville ! 10 étapes en photo accompagnées d’un texte en japonais tout ce qu’il y a de plus clair. C’est fou parce qu’à peine posé je sens que cela me soulage un peu. Je veux avoir l’esprit tranquille et je décide de tester la chose en courant dans le couloir de l’hôtel. Me voilà donc à 6h30 du mat en train de faire des fractionnés sur la moquette. Ok j’ai l’air ridicule mais j’ai bien vérifié avant de me lancer qu’aucune caméra ne traînait dans les parages avant de me retrouver sans vouloir sur Youtube dans la rubrique « y a des fous partout ! »… Ce n’est pas ça mais c’est mieux que rien et je prie maintenant pour que l’effet « chauffage de muscle » joue son rôle. Rendez vous CLM dans le hall pour la traditionnelle photo et je dois aller remettre mon sac dans les camions. Depuis mon retour glacé de NY, je ne déroge plus à la règle et je prévois le bon jogging confortable ainsi que de la monnaie pour le métro du retour. C’est un marathon avec départ et arrivée différente et je peux vous le dire dès maintenant, je ne refais plus ce genre de course. Enfin là je n’ai pas le choix et je vais faire avec.
Direction les SAS de départ avec Palmito et bien sur sans que nous ne nous soyons donné rendez vous nous allons tomber sur Isabelle et Gérard du groupe Planet Tours. Sur plus de 30000 coureurs au départ, comme je le dis souvent : le monde de la course à pied est très petit ! J’ai un peu en tête de courir le semi avec Isabelle histoire de me donner un rythme et de finir toute seule comme je le fais quasiment à chaque marathon de mon tour. Le départ est donné à 9h10 (ne cherchez pas…) et il nous faudra bien sur quelques minutes pour nous élancer avec les cœurs de l’Opéra de Tokyo en fond sonore. Et là il faut bien que je l’admette : j’ai perdu l’habitude des courses de masse. Entre Puerto Montt, Tahiti, l’Antarctique et même Marrakech, je ne sais plus jouer des coudes pour avancer. Je vais tenter de suivre Isabelle pendant des km mais au 9° je la perds pour ne plus jamais la retrouver. Il faut dire qu’elle court plus vite que moi ! Elle a une foulée nette et précise, bien loin de la mienne, Tour de Pise ambulante. Heureusement cette fois-ci j’ai prévu le coup et mon MP3 est chargé à bloc.
Autre fait qu’il me faut admettre : ma cheville, même si elle est moins sensible que d’habitude, me fait mal. Je comprends qu’il va falloir courir les 42 km et 195m avec elle comme amie. Du moment qu’elle n’est pas rejointe par Miss Lombaires je me dis que cela peut se tenter. Et puis voyons les choses du bon côté : j’ai moins de chance de m’endormir en courant avec cette douleur permanente. J’avance doucement mais sûrement, attendant désespérément le moment où l’écrémage va se faire et la route se libérer un peu. Je profite de chaque moment de la course où j’ai un peu de calme autour de moi pour regarder ce qui se passe. Le premier semi est sympa puisque nous allons même passer à côté de la cité impériale. Le système de boucle a aussi son avantage puisqu’il va nous permettre d’admirer à 2 reprises les élites et de croiser quelque fois les quelques connaissances que j’ai sur la course.
Je prends des photos de temps en temps histoire de m’occuper. Je réajuste ma tenue parce que ma ceinture n’est pas très en forme non plus aujourd’hui.Tiens mince alors j’ai perdu un de mes gants achetés la veille… C’est bête ça parce que je l’aimais bien mon gant noir avec écrit en doré dessus « marathon de Tokyo 2009 ». Ca me permet d’ailleurs de réaliser à quel point courir avec une ceinture n’est pas très agréable. J’adore me faire ce genre de réflexion à 2 mois d’une course avec sac à dos. Qui a dit que les femmes savaient ce qu’elles voulaient ? Allez un semi, un ! En 2h, autant dire un de mes pires temps depuis longtemps. Tout cela me confirme que je serai loin des 4h et même des 4h05. Je me connais, le negativ split ce sera pour une vie prochaine. A partir de ce moment là je vais complètement rentrer dans ma bulle. La musique de Coldplay dans les oreilles, j’avance sans vraiment faire attention au monde extérieur, uniquement concentrée sur mes sensations et sur mes pensées. Je sais que je dois finir, je n’ai pas le choix de toute façon : à genoux, sur les mains, je vais finir. Mais pitié que cela finisse vite !!! Je peux simuler s’il le faut… Comment peut-on s’imposer ça franchement ? Pourquoi j’ai lâché mon ouvrage de point de croix pour me lancer dans la course à pied. J’étais cool chez moi tranquille à attaquer la lettre C d’un superbe abécédaire avec les personnages de la mythologie bretonne (mais si Mélusine, Merlin et tout le toutim vous connaissez non ?). Comment peut-on s’imposer sciemment quelque chose d’aussi bête que ça ? Je le connaissais même pas moi Philippidès… Qu’est ce que j’en ai à battre qu’il soit mort ou non en arrivant ?
Km après km, j’avance plus ou moins rapidement en cherchant à comprendre ce qui me motive. Pourquoi je déteste tellement ce corps dont je ne sais quoi faire depuis des années et auquel j’impose encore plus de souffrance comme si cela n’était pas suffisant ? Ce n’est pas d’un psy dont j’ai besoin moi, c’est d’un service de St Anne tout entier rien que pour moi ! On cherche quoi exactement en se lançant là dedans ? A être le plus rapide ? Ben pour moi c’est raté de chez raté donc ce n’est pas ça. Ca change quelque chose pour l’univers qui nous entoure ? Ben non, rien de rien… Et chez moi ? Tout le monde trouve ça d’un classique maintenant que je cours dans l’indifférence générale ? Quoi ? Encore un marathon ? Encore une médaille ? Mais tu l’as pas déjà en double celle là ? T’as qu’a les échanger sur Ebay, comme ça tu pourras nous faire des crêpes dimanche…
Oh là mais où je vais moi ??? Ce n’est plus un marathon que je cours, c’est « Psychologie magazine » que je lis ! Allez on se ressaisit, on avale quelques raisins secs et on courbe la tête vu que le vent s’est levé. A défaut de gants, je vais pouvoir compléter ma collection de casquettes, il y en a pleins par terre ! La fin de ce marathon tient du déjeuner de famille le dimanche, ça n’en finit pas… Je souris aux gens que je croise et qui eux en ont pour encore plus longtemps que moi, histoire de leur remonter le moral. J’ai d’ailleurs souvent un retour, ce qui me donne l’impression d’être moins seule. La fin du parcours n’a pas grand intérêt architecturalement parlant et pour le dire avec des mots plus simples : « c’est moche ! ». Histoire d’en rajouter avec le vent, ils nous ont mis des ponts qui grimpouillent. Bon bien sur ce n’est pas le Mont Blanc mais là franchement je m’en serais bien passée moi du relief. Pour moi le 30° km n’est jamais vraiment synonyme de mur mais plutôt de bonheur extrême parce que je bascule enfin dans une distance que je connais. Plus que 12, plus que 10… Allez un ravito et il ne restera que 7 km. Qu’est ce que c’est 7 km ? Même pas un footing du mercredi… J’utilise la méthode « Olivier » testée sur le marathon de Marrakech. J’entends sa voix qui me dit « allez ça fait juste 5 tours de lac, qu’est ce que c’est 5 petits tours de lac… ».
40° km ! J’en aurais embrassé la pancarte moi ! Ok il y a encore quelques tours de piste à faire avec un ou deux petits ponts à passer mais c’est fini. Je ne regarde même pas mon chrono, je m’en fous comme de ma première petite culotte petit bateau et je décide de lâcher les lions. Je te mets David Guetta à fond les ballons dans le lecteur, ambiance Ibiza, je chante (si si je vous jure…) et surtout je fais un truc que je n’ai jamais osé faire : j’enlève ma casquette et je me détache les cheveux. Dieu que ça fait du bien de sentir le vent dans mes cheveux.
Je retrouve une vitesse que je n’avais plus depuis des km et je fonce tel Crin Blanc dans la prairie avec ma crinière qui virevolte au vent. J’en profite pour faire du ramassage scolaire en entraînant avec moi ceux qui marchent. Eric (décidément ce prénom me poursuit !!!) n’en peut plus mais je le pousse. Allez on ne finit pas un marathon en marchant. Il redémarre à mes côtés et me jure qu’on ne l’y reprendra plus. C’est son premier et son dernier. Tiens j’ai déjà entendu ça quelque part moi. A 1km de l’arrivée j’embarque dans ma course effrénée un japonais qui m’a l’air tout surpris de mon intérêt à son égard. Il part avec moi et s’accroche. La ligne est en vue et là j’abandonne quelques instants mon compagnon de route pour foncer comme une folle furieuse. J’ai doublé je ne sais pas combien de personnes mais dieu que ça fait du bien. Ça y est, la ligne est franchie !!! Mon nouvel ami japonais arrive quelques secondes derrière moi et me salue en se courbant et en me disant « Thank you » 10 fois de suite. Je lui claquerais bien la bise mais je ne voudrais pas me retrouver avec un massage cardiaque à faire. J’avance pour redonner ma puce, récupérer la fameuse médaille ainsi que la serviette, super idée pour me couvrir les épaules parce que j’ai oublié de vous dire qu’il pleuvait depuis quelques km déjà. J’avance tant bien que mal vers la zone où je vais récupérer mon sac et là tout d’un coup sans prévenir je pleure. Depuis NY cela ne m’était jamais arrivé. Il va me falloir plusieurs minutes avant de retrouver mon calme. Fatigue, émotion, ça y est c’est gagné. Je suis dans le Seven Continents Club. Est-ce que ça va changer la face du monde? Non, en aucun cas, je vous rassure tout de suite ! Mais bon je suis contente, je m’étais jurée à moi-même de le faire et je l’ai fait. Paris ce sera pour les copains qui doivent se préparer à vivre le marathon le plus long de leur existence vu mon état physique.
Je retrouve Isabelle dans la salle de remise des sacs et je suis ravie d’avoir enfin un visage connu, une voix française. Elle aussi a connu quelques difficultés vers la fin, classique effet secondaire d’un marathon à l’autre bout du monde où on doit gérer le décalage horaire, la fatigue et tout le reste. Je vais me changer dans les toilettes des hommes histoire de bien montrer à tout le monde que je suis française et assez peu respectueuse des règlements mais là franchement il y avait trop de monde. Et puis je vais retrouver la fine équipe de CLM avec Thierry coureur voyageur, Palmito, Tux et Romuald qui a fini son premier marathon le plus rapidement possible vu que sa femme doit accoucher d’un moment à l’autre (elle donnera naissance à un petit Enzo le soir même). Erwan s’occupe de la logistique « repos du coureur » à savoir : raisins secs et sauterelles… J’ai tellement faim que je vais en manger 2 histoire de montrer que « même pas peur la fille ». Très honnêtement ça a le goût de crevettes caramélisées. Et voilà un de plus… Rendez vous à Paris pour le dernier et après promis je vais me dormir un peu !!! Cécile Ps : Ah oui j’oubliais pour la petite histoire, en retrouvant Thierry dans le vestiaire, je l’ai vu rangé son sac et j’ai aperçu un gant comme le mien. Je lui fais part de ma tristesse d’en avoir perdu un et il me dit « quelle main ? ». Euh ben attends, la droite je crois… « Prends le c’est le tien ! ». Il l’a ramassé par terre pendant la course et tout me laisse à penser qu’en effet il y a toutes les chances pour que ce soit réellement le mien !